
Quand je serai morte, je pourrai me dire, parce qu’on peut se parler à soi-même quand on est mort, que je me serai exposée, de mon vivant, à des défis majeurs. Le défi majeur, voire vertigineux, que je traverse en ce moment est celui de la relecture de ma deuxième année d’écriture. La piètre qualité du texte m’amène à réaliser que je me serai trompée sur toute la ligne : je ne suis pas une écrivaine. J’aurai eu besoin de me penser écrivaine, de m’accrocher à ce statut noble, parce qu’être uniquement, simplement, Lynda Longpré n’était pas suffisant. Il me fallait trouver plus admirable pour me distinguer des autres, pour me tenir la tête hors de l’eau.
En soi, constater que je ne suis pas écrivaine n’est pas plus grave que ça, mais avoir pensé mordicus et dur comme fer que j’appartenais à ce clan privilégié me semble plus dur à avaler. J’ai fui la réalité en m’enveloppant du voile de l’utopie, sans laquelle je n’aurais pas été capable d’affronter les événements qui se sont présentés dans ma vie, tant personnelle que professionnelle.
Face à telle collègue mesquine qui prenait plaisir à me dénigrer, par exemple, je me remontais le moral à la seule pensée que j’allais vivre la plénitude à ma prochaine rencontre avec l’écran blanc de mon ordinateur. J’allais taper du texte, retrouver goût à la vie et oublier que je m’étais sentie pas plus haute qu’un poil de tapis ras à la réception de ses paroles blessantes. Autrement dit, l’important était de me réconforter en écrivant, en écrivant quoi, cela importait peu.
Ayant fait partie pendant un temps d’une famille dans laquelle certains individus se distinguent par leur confiance en eux, leur aplomb, leur capacité à se propulser à l’avant-plan, il m’est souvent arrivé d’activer ma petite voix afin d’être capable de me tenir debout dans les contextes où je croisais ces têtes d’affiche : « N’oublie pas que tu écris bien et que tu as déjà été publiée », me répétait ma voix interne, me référant, année après année, à un événement unique de plus en plus ancien !
Je vais quand même affronter mon destin et relire mes 186 pages très remplies. Ça fait d’ailleurs déjà trois fois que je les lis. J’y retourne.