Nous étions en cours de dessin et le professeur expliquait les formes binaires. Ce sont des formes dont la largeur ou la hauteur sont identiques. Une moitié de hauteur de pinte de lait en verre, par exemple, peut former une paire avec un broc dont la largeur est identique à la demi-hauteur de la pinte. À ce moment-là, en tant qu’élèves, il nous est demandé de tracer des lignes, par-dessus les objets dessinés, de ces longueurs et largeurs binaires et de les identifier AA, BB, CC… autant de fois qu’on en découvre dans notre nature morte, car nous en sommes au stade des natures mortes.
Il nous est aussi demandé de tracer des formes clefs avec des pointillés, et de circonscrire la forme générale d’un trait plein. Au final, on ne discerne plus tellement, sous le tas de ligne, la tasse, la pinte, et le broc.
Sur le coup, à l’explication du professeur, j’ai interprété, je ne sais pas pourquoi, qu’il s’agissait d’associer des lignes entre elles non pas sur la base de leur longueur identique, mais de leur rapport identique : des largeurs avec des largeurs, des longueurs avec des longueurs.
– Donc, ai-je voulu vérifier, les formes binaires ne sont pas nécessairement de la même largeur ou longueur ?
Le professeur, qui me faisait dos, s’est alors tourné vers moi et a dit :
– Quand tu t’achètes des souliers, achètes-tu une taille huit pour le pied droit et une taille neuf pour le pied gauche ?
– Euh…, fut ma réponse.
Suivie immédiatement, cette réponse combien succincte et évasive, de ces mots miraculeux propulsés par mon cerveau à mon insu :
– Vous savez, une mère qui accouche de jumeaux hétérozygotes n’accouche pas de jumeaux identiques ! Vous ne viendrez pas me faire croire qu’une Françoise est identique à un François !
Le professeur, et les autres élèves, j’avoue, m’ont regardée d’une drôle de façon, comme il arrive souvent, et on comprend pourquoi, qu’on me regarde d’une drôle de façon !
Cette remarque a eu l’effet non prémédité de tenir le professeur à distance tout le reste du cours. Cela a fait mon affaire, cependant. Le calcul, un oeil fermé, une visée à la main, des hauteurs et des largeurs des objets dessinés sur ma feuille, comparées à celles des objets placés à côté de mon chevalet, me donnait de plus en plus mal au coeur.
Après le cours, j’ai voulu aller souhaiter un bon anniversaire à papa, il vient d’avoir 90 ans. En entrant dans l’établissement, il faut d’abord remplir un questionnaire et cocher qu’on a ou qu’on n’a pas de symptômes associés à la Covid.
– Je n’ai pas la Covid, ai-je dit au surveillant, j’ai fait le test récemment, mais en ce moment j’ai mal à la tête.
– Malheureusement je ne pourrai pas vous laisser monter, a répondu l’homme.
– C’est bien dommage, ai-je répondu, papa a eu 90 ans hier. Je voulais lui souhaiter bonne fête.
– Je suis vraiment désolé, a répondu l’homme, en s’empressant d’ajouter, pour me réconforter, que si jamais je me sentais mieux dans une heure, je pourrais repasser !
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