On dit parfois, d’une personne un peu avancée en âge, qu’elle est à l’automne de sa vie. D’après les sources que je consulte sur Internet, l’automne de la vie précède la vieillesse proprement dite, et commence, en gros, au moment de la retraite, à nos quelque soixante ans. Cette expression entre en conflit avec ma récente théorie des quadrants, selon laquelle, à soixante ans, on accède à la position non pas automnale mais hivernale du cycle de la vie. Quand on est chanceux, cela dit, car ce n’est pas tout le monde qui peut faire l’expérience d’un séjour de vingt ans dans chacun des quatre quadrants. Mon ami André, par exemple, décédé à 61 ans, venait tout juste d’arriver dans le quadrant de l’hiver quand c’en a été fini pour lui.
Ceux qui vieillissent jusqu’à tard, au-delà de quatre-vingts ans, entrent dans une section Bonus –cette information n’a pas été détaillée dans le texte d’hier. On peut y séjourner tout le temps qu’on veut. Mon père, qui aura quatre-vingt-dix ans dans quelques jours, en est devenu un habitué, mais il ne sait pas qu’il en est un habitué parce que sa maladie est trop avancée. L’idéal, à mon avis, c’est d’être suffisamment en forme pour pouvoir savourer chaque nouvelle journée de cette section.
Plusieurs aînés vivent la dernière année de leur quadrant hivernal en n’ayant qu’une chose en tête, à savoir se rendre à la section chouchou, à la section vedette du temps supplémentaire. C’est comme dans le film Notting Hill, au moment où Julia déclare envisager de séjourner en Angleterre « indéfiniment ». Chez les résidents de la zone Bonus, le temps de séjour n’est plus calculé, le nombre de journées n’est pas comptabilisé, cela fait en sorte que chaque lever de soleil est un véritable cadeau parce qu’on ne sait pas s’il sera suivi d’un autre.
La même logique implacable s’applique bien sûr aux aînés du quadrant hivernal –et aux individus de tous les quadrants, en fait–, à savoir que chaque nouveau lever de soleil est un cadeau d’autant plus précieux qu’il s’agit peut-être du dernier. Mais quand on peut savourer ces nouveaux levers de soleil dans le confort que procure le fait d’avoir effectué un tour complet des quatre quadrants, dans une relative bonne forme, on se trouve doté d’un incitatif non négligeable à savourer encore davantage.
