
Capsule publicitaire : Maroquinerie Paul Marius située au 11 Grand’Rue à Strasbourg
Je me suis acheté un sac à Strasbourg. Chaque modèle, dans le magasin, a un nom : le Rive Gauche, le Dandy, le Madame, l’Effrontée, la Besace, le Messager… Le modèle que j’ai acheté est la Sacoche, en référence au gros sac de courrier que porte le facteur, mais bien entendu mon achat n’a pas le même format que le gros sac du facteur. Je trouvais le prix raisonnable et le modèle idéal. Je trouve aussi qu’en France, en me basant sur mon court séjour de trois semaines, il est facile d’avoir accès à des sacs faits en cuir et pas fabriqués en Chine ! J’ai tardé un peu avant de l’acheter, pour être certaine que je ne regretterais pas mon investissement de 59€, puis de bon matin, avec chouchou, je me suis décidée.
Les lecteurs qui me connaissent le moindrement retiendront que « de bon matin » est ici une expression figée. Elle exprime un repère temporel indéterminé dans la narration. Je suis la dernière personne à mettre le nez dehors le matin, en hiver, à moins d’y être obligée.
Me voilà donc avec un sac en bandoulière, ne vivant plus désormais l’inconfort du sac porté sur l’épaule et dont l’une des deux courroies, très vite, glisse sur le bras. La courroie glisse d’autant plus vite en hiver, quand il faut compter avec l’épaisseur de mon gros manteau Pajar.
Le problème de la courroie qui ne reste pas en place sur l’épaule, propre à mon ancien sac, est remplacé cela étant par un nouveau problème avec ce nouveau sac : les deux boucles qui fixent les languettes de cuir ne s’attachent pas rapidement. Si je désire en outre mettre l’ardillon de chaque boucle dans le trou de la même hauteur sur chacune des languettes, ça prend encore plus de temps. Quand nous étions à Barcelone, par exemple, sur le point de quitter la chambre d’hôtel pour toute la journée, il fallait ne rien oublier. Attache, détache les languettes pour y ajouter la gourde d’eau, le guide Michelin, les mouchoirs, le rouge à lèvres… oups les clefs… ça ne finissait plus. Assez vite, et ce d’autant que Barcelone nous appelait dehors, j’en suis venue à porter mon sac sans en attacher les languettes, le panneau de la sacoche simplement appuyé sur mon corps, rendant impossible l’ouverture du sac par un inconnu, à mon insu.

¿ Para Comer ? ¡ Si ! Spaetzle, SNCF et jupes plissées
La surprise, quand on arrive à la caisse de la boutique Paul Marius pour payer son achat, c’est que la vendeuse nous informe qu’il est possible de faire graver jusqu’à sept mots sur un morceau de cuir, retenu par un lacet de cuir, qui vient avec le sac, et qui est d’ailleurs déjà dans le sac, quand on regarde bien. Ce morceau de peau a vaguement la forme d’un hexagone, peut-être pour représenter qu’il s’agit d’un produit français ? Sur le coup, bien sûr, je n’ai pas su ce que je voulais faire graver. J’ai informé la vendeuse que j’allais repasser. Je n’étais pas sortie de la boutique que le bal des questions existentielles avait commencé. Je pourrais ne faire graver que mes coordonnées, nom et numéro de téléphone, comme tout le monde, en cas de perte ? Non. Pourquoi est-ce que je désire tant me distinguer, me sortir du lot, et aller vers quelque fantaisie ? Une fantaisie qui ne vient pas, cela dit en passant. Qu’est-ce qu’il serait amusant de lire sur ce bout de cuir ? Ai-je des héros, des héroïnes, des mottos qui me définissent ? Un vers ?, moi qui ne lis pas les poètes ? Comment expliquer que je sois habitée par une telle vacuité culturelle qu’aucune idée ne vient à ma rescousse ? Pourquoi, d’ailleurs, ne suis-je pas devenue une écrivaine, une littéraire, une philosophe, une intellectuelle ? Qu’est-ce qui cloche dans la constitution de ma personne ?
Puis, encore une fois de bon matin, j’ai réalisé que quatre mots me décrivaient à merveille, quatre mots qui défilent constamment dans ma cervelle, à longueur de journée : comment ça se fait ?
– J’ai trouvé, Emmanuelle, ce que je vais faire graver sur mon morceau de cuir !
– Ah oui ? Qu’est-ce que c’est ?, a-t-elle demandé avec une curiosité enthousiaste.
– Comment ça se fait.
Silence de ma fille.
– Ah.
– Tu trouves ça poche ?
– Nnnnon, mais…
– Écoute, peut-être qu’en en parlant, je pourrais trouver mieux ?, ai-je suggéré.
– Tu pourrais aller vers des temps forts de ton séjour, vers des clins d’œil qui te feraient plaisir… vers quelque chose de plus espiègle qu’une question existentielle !
Nous étions en train de marcher dans la partie dite Petite France du cœur commerçant de Strasbourg.
– C’est sûr qu’un des temps forts de mon séjour a été de découvrir que tu parlais espagnol, quand la serveuse nous a demandé si on voulait seulement boire, ou alors manger.
– Un autre temps fort est forcément celui des grèves, a suggéré Emma.
– Et un autre, la gourmandise de ma fille qui veut découvrir toutes les spécialités alsaciennes. Comment ça s’appelle encore les pâtes aux lardons et à la crème qu’on a mangées aux marchés de Noël ?
– Des spaetzle.
Quand est venu le temps d’écrire cette enfilade de mots à l’attention de la vendeuse sur un bout de papier, qui allait les graver, j’ai été visitée par un éclair de génie. J’ai fait ajouter, sans réfléchir, « et jupes plissées », parce que nous en avons vu beaucoup à Paris et à Barcelone. Des jupes ultra légères, à plis, longues jusqu’en bas des mollets, que les femmes portent sous leur manteau. Ça veut dire qu’elles ont chaud du haut, mais froid du bas si le manteau est le moindrement court. La plupart des femmes que j’ai vues porter ce type de jupe étaient chaussées de baskets.
Vive l’Espagne et l’hôtel Room Mate Emma; vive les plats alsaciens; vive les jupes plissées.
Vive la grève ? Moins sûr…