
Voici où m’ont conduite les spirales de ma vie. Je m’arrête là pour le moment.
Je me demande quel était le compositeur préféré de Michel Legrand. Je me demande aussi s’il avait des tonalités préférées. Je me demande s’il était capable de reproduire les couleurs avec les sons, aussi bien que mon ami André, décédé à 61 ans. J’ai déjà écrit à ce sujet dans mes textes d’il y a quelques années. André savait créer avec les touches de son piano, donc auditivement, les couleurs telles qu’elles sont perçues par l’œil. C’est difficile à expliquer. Il disait :
– Écoute ça.
Le ça, c’étaient ses dix doigts qui jouaient un accord, et cet accord vibrait comme vibre le jaune, ou le rouge.
– Quelle couleur ?, demandait-il ensuite.
– Vert !, m’exclamais-je. Un vert très riche, plein de chlorophylle !
Je ressentais vraiment, se dégageant du piano, une éclaboussure de vert, dans le petit local de pratique où nous passions nos journées.
J’avais envoyé une demande à François Dompierre qui aimait improviser sur des thèmes soumis par les auditeurs, à la radio, mais il n’avait pas réussi l’exercice, pas du tout.
Donc, Michel Legrand. Il fait référence dans son livre, toujours le même, J’ai le regret de vous dire oui, au concerto pour flûte et harpe, K.299, qui l’émeut plus que tout, tellement il y décèle le génie musical de Mozart. J’ai eu envie de l’écouter pendant que je traçais mes spirales. Avec mes petites capacités, j’y ai décelé des modulations inattendues qui m’ont séduite, le temps qu’elles ont eu lieu, c’est-à-dire quelques secondes. Ça s’arrête-là, en ce sens que je ne suis pas capable de me représenter, comme en est capable Michel Legrand, le travail colossal et hors du commun qui est à l’origine de ce chef-d’œuvre musical, et des autres qui existent sur la terre.
Un coup partie, après Mozart, j’ai écouté le concerto pour violoncelle de Dvorák (impossible de reproduire l’accent diacritique sur le r), et celui pour violon de Mendelssohn. Je les ai écoutés sur YouTube, de mon ordinateur bas de gamme, dont le son est celui d’une boîte de conserve. En outre, si le mouvement du concerto est le moindrement long, il est interrompu par une publicité, puis il reprend comme si de rien n’était.
Le concerto pour violoncelle, je m’en rappelle parce que c’était la pièce maîtresse du programme de fin de conservatoire de Johanne Perron. Elle l’avait joué avec l’OSQ et s’en était énormément voulu d’avoir fait un do bécarre au lieu d’un do dièse, à quelque endroit de l’oeuvre, et le plus impressionnant c’est que je m’en étais rendu compte, parce que bien entendu j’avais assisté à ce concert donné en salle publique.
Une autre étudiante de fin de programme, en piano, avait joué un concerto l’année suivante avec l’OSQ, je ne me rappelle plus lequel, et j’avais eu moins de plaisir à me laisser porter par le dialogue piano orchestre parce que je savais que cette pianiste était excessivement nerveuse, elle l’avait été toute l’année, probablement. Elle est décédée jeune, d’un cancer, et je me demande s’il n’y a pas de ce stress plus grand que nature à l’origine de sa maladie.
Le concerto pour violon de Mendelssohn, lui, a été le choix d’Angèle Dubeau à son examen de fin d’année. J’y ai assisté également, il me semble que c’était à Québec, à l’Institut canadien, rue Ste-Angèle, quel drôle de hasard, mais je trouve ça curieux parce qu’Angèle était étudiante au Conservatoire de Montréal. Mais peut-être que tous les étudiants violonistes des conservatoires du Québec se rendaient à une seule salle à une même date, pour ne pas faire déplacer les juges musiciens d’une ville à l’autre. Peut-être que c’est à Québec qu’il y avait le plus de violonistes finissants cette année-là ? Je ne sais plus.
Je me demande si je vais avoir le temps de faire ce que je voulais le plus faire, cette fin de semaine que je suis seule. Je voulais et veux encore et après tout il me reste demain, passer en revue les toiles qui décorent les murs et essayer de les apprécier pour ce qu’elles sont, mes créations, sans m’en vouloir d’être pourvue de si peu de talent.