
-Tu ne vas pas acheter ça?, s’était inquiétée mon amie. -Même pas comme tablier quand je travaille sur mes toiles?, avais-je demandé.
Dernier texte de ma série. Je m’étais donné un défi de trente jours, trente textes. J’ai triché parce que je n’ai pas porté systématiquement le vêtement suspendu au « cintre du jour ». En outre, j’ai sauté des cintres, en ce sens que je n’ai pas rigoureusement présenté les vêtements en fonction de l’ordre selon lequel ils sont placés sur la barre de rangement, dans mon walk-in. Comme si ce n’était pas assez de tricherie, aujourd’hui je publie trois textes, pour en finir de ce projet. Ce n’est pas que j’ai hâte d’en être débarrassée, c’est parce que le décompte des textes réguliers –qui s’intitulent Jour XXX– va recommencer le 1er mai qui vient, et je voudrais prendre quelques jours de congé d’ici là. Autrement dit, j’ai fait ma série vestimentaire pour m’amuser, pendant une vacance de mon défi, de mon défi qui s’étend sur dix ans et dont sept ans sont maintenant complétés. Je sais que je suis dure à suivre, alors je vais m’arrêter là pour ne pas m’enfoncer davantage dans des explications confuses.
Voici ce que je retiens de mon expérience dans le domaine du vêtement. 1. Il aurait fallu que les photos soient prises avec plus de soin. Je viens tout juste de découvrir comment redresser les sujets, dans mon logiciel. Il aurait été préférable que je définisse dès le départ des paramètres de prise de vue et que je les applique aux trente spécimens vestimentaires. Avoir tracé une marque sur le plancher, par exemple, et m’y être placée pour chaque prise de photo, en respectant les mêmes données d’ouverture et de vitesse sur mon Nikon, en procédant en outre à la même heure pour bénéficier de la même lumière dans mon bureau, auraient constitué une valeur ajoutée. Avoir par la suite rogné mes photos pour obtenir la même distance entre la bordure supérieure de la photo et le cou du mannequin, et la même distance entre la bordure inférieure de la photo et la surface du bureau où étaient déposés la pomme, le bracelet, alouette, auraient aussi représenté un gros gros plus. 2. J’ai l’impression, plus le temps passe, plus je vieillis, plus j’accumule des pages, que j’écris pour me protéger du monde. Comme un rempart à la folie extérieure, à l’extravagance des hommes, à l’appât du gain et toutes ces autres choses encore. Je pénètre dans ma bulle, je m’intéresse à des riens, des lacets, des boutons, et c’est dans ce microcosme que je me retrouve, que je renoue avec moi-même, que je m’accueille telle que je suis, que je m’entends, que je me parle. Ne pas me rencontrer autour d’un lacet ou d’un bouton, je pense que je devrais prendre des médicaments contre la dépression nerveuse. En tant qu’artiste –bien sûr il faut le dire vite–, je ne maîtrise aucune technique, comme en attestent mes toiles et mes photos ! J’en conclus que l’écriture est une pratique qui ne requiert pas de technique, puisque c’est la seule dans laquelle je me sens à l’aise, c’est la seule qui ne me donne pas le goût amer de la déception. Je me trouve bonne et je m’arrange pour ne pas me remettre suffisamment en question afin de ne pas me démolir. Afin de ne pas mettre fin à un exercice qui me fait tant de bien, qui m’équilibre, qui me nourrit. 3. Je pensais aborder dans cette série la notion du beau. Qu’est-ce qui est beau ? Au-delà des tendances, qu’est-ce qui fait qu’un vêtement aura toujours l’air élégant ? Qu’est-ce qui m’attire en matière vestimentaire ? Comment ça se fait qu’il n’y a pas grand-chose qui me séduit dans les vitrines des magasins ? Que j’ai l’impression que les vêtements sont tous pareils ? Et comment ça se fait que je ne peux même pas dire moi-même ce qui me plaît dans le vêtement que j’aurai envie de me procurer ? Etc. 4. J’aimerais entamer mes publications régulières, à partir du 1er mai, en exploitant une autre série, peut-être elle aussi de trente textes. Je me demande quel en serait le sujet. Mes parfums ? Je n’en ai pas trente ! Mes plantes ? Elles n’ont pas autant d’histoire que mes vêtements, acquis un à un au fil de tant d’années. J’ai envisagé une fraction de seconde de photographier mes petits-déjeuners, mais ils ne sont pas assez variés. Le plus intéressant serait d’écrire une critique très personnelle d’un livre par jour, mais c’est un travail énorme de reconstitution et de mémoire qui requiert du temps que je n’ai pas. Peut-être, cela dit, aurais-je envie de présenter mes bijoux. Les vieux, les récents, les ceux de tante Alice ou Laurette, de ma grand-mère Yvette, les anonymes dont je ne sais pas comment ils se sont rendus jusqu’à moi…
Le vêtement tablier en photo, en début de texte, a été acheté à la friperie où travaille mon amie. Il s’agit d’un vêtement de la grande famille Terra Nostra. Terra Nostra mettrait sur le marché des vêtements pas beaux ? J’ai eu l’idée de changer le ruban décoratif qui s’attache au glissoir de la fermeture éclair (c’est un mot de mon invention, le glissoir), comme en atteste la photo ci-contre. J’ai troqué le vert fluo pour une couleur cuivrée. C’est déjà mieux. Je n’ose pas porter le vêtement quand je manipule mes pinceaux couverts d’acrylique parce que je ne veux pas le tacher. Alors depuis que je l’ai acheté, genre 1$, il m’attend dans mon garde-robe. Des trente vêtements, une chose est sûre, ce n’est pas mon préféré. Mais justement, quel est mon préféré ? Ai-je un préféré ?