Après, je tourne ma veste de bord. Je me dis qu’il n’y a pas de mal à parler de mon ami le pied de céleri ou, autre élément de forme semblable, de mon amie baguette de pain. Je suis rendue là, dans mes corrections, aux épisodes où je vais tricoter avec Oscarine en mastiquant de la baguette. Il est aussi question de Clovis, à cette époque de ma vie. Comme il s’agit d’une aventure malheureuse auprès d’un être souffrant, j’enlève des paragraphes, ici et là, ou alors j’écris au « je » ce qui est survenu au « nous ». Parmi les folies que je raconte à Oscarine en tricotant, je tombe sur ma recette de pâté chinois nouvelle manière, dans laquelle les pommes de terre conservent leur peau, le bœuf se fait mélanger à de la sauce Sri Racha et le pâté complet, en touche finale, se fait napper d’un mélange d’œufs et de lait. J’étais au Métro d’alimentation cet après-midi et j’ai acheté les ingrédients nécessaires pour répéter la recette. Le pâté m’attend sur le comptoir de la cuisine, en ce moment. J’y ai saupoudré du paprika fumé, en amélioration, cinq ans plus tard.
Je pense qu’il m’est nécessaire de créer, d’inventer, de laisser s’exprimer mon imagination. C’est la raison pour laquelle l’écriture me tient tant à cœur. Je peux inventer autrement qu’en écrivant, à travers mes toiles, par exemple, ou ce pourrait être n’importe quoi d’autre, en cuisinant, en rénovant. D’ailleurs, il traîne depuis quelques jours sur la table de la cuisine des matériaux divers que je voudrais assembler pour en faire un mobile. Le projet de mobile attend, là où, d’une certaine manière, c’est l’écriture qui attend après moi. Je suis malheureuse si je ne m’y consacre pas. Pas seulement malheureuse, je deviens nerveuse et déséquilibrée. Donc, on peut penser que j’ai besoin d’écrire, même si, paradoxalement, il n’y a rien que je désire tant que ça exprimer.
Comment est-ce que je faisais pour vivre, du temps de Jacques-Yvan, n’écrivant pas, travaillant à temps plein et m’occupant d’une famille recomposée, avec chouchou, dans ses premières années, qui me suivait partout ? Je vivais mal et je ne m’en rendais pas compte. À chaque Noël, je revoyais dans la famille une dame que je connais à peine. Elle me demandait immanquablement si j’avais écrit pendant l’année, ayant appris que Les herbes rouges m’avaient publiée, en 1994. Je répondais immanquablement que je n’avais pas écrit, en m’expliquant mal son entêtement, pendant qu’elle devait, de son côté, mal s’expliquer le mien. Savait-elle que j’avais besoin d’écrire alors que je ne le savais pas moi-même ?
J’en arrive à la conclusion suivante : j’ai besoin d’écrire, mais je n’ai rien à exprimer !
– Quel est ton avis ?, me demandait mon ami André récemment, par rapport à un événement qui se trouvait au cœur d’une conversation que nous venions d’avoir avec une troisième personne.
– Je n’ai pas d’opinion, ai-je répondu sans hésiter une seconde.
Je ne sais pas comment les gens font pour avoir une opinion. Dans ce que j’appelle le jeu des subjectivités, je trouve que toutes les positions se valent, elles sont toutes justifiables d’une manière ou d’une autre.
J’écris, bien que n’ayant rien à exprimer. Je me laisse porter par la seule invention. C’est un problème réel quand arrive une situation où il me faut maîtriser une technique. Le désir de me laisser porter et d’inventer prend le dessus. Exit le foulard au point de blé, après trois rangs je tricote autrement. Exit les pas de danse qu’il me faudrait maîtriser dans mes cours. Il n’y a pas de mot, ici, pour exprimer à quel point je ne suis pas douée.
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