Quand ça va ainsi dans tous les sens, dans ma tête, quand je ne sais quelle direction emprunter, je reviens à l’essentiel, qui devrait pourtant primer en tout temps. Je reviens au plaisir d’appliquer de la couleur sur la toile et au plaisir d’entendre les poils glisser sur le canevas. Mélanger mes couleurs pour leur donner la consistance idéale, ni trop liquide ni trop pâteuse, est aussi au nombre de mes plaisirs dans ma relation avec l’acrylique. Comme l’essentiel ne semble pas vouloir occuper le premier plan, dans mon activité de peintre du dimanche, je dois régulièrement aller le chercher. Il se tient caché derrière les préoccupations qui me traversent le cerveau : préoccupation esthétique de la couleur, du sujet chat ou poisson ou abstraction, de l’état que j’attribue au sujet –ici un animal mort ou vivant. Me sentir investie d’une mission sociale, comme c’est le cas de beaucoup d’artistes, je dénoncerais en outre les politiques environnementales selon lesquelles les poissons meurent à cause de la pollution, etc.
Mais je n’en suis pas là.
J’ai donc commencé par tracer les lignes en provenance du moniteur cardiaque, une brune et une noire. J’ai dû repasser souvent sur la brune car la couleur n’adhérait pas beaucoup sur la toile. J’y avais versé trop d’eau. J’essayais de taire mes inquiétudes en me disant que j’allais passer minutieusement sur mes lignes noire et brune et qu’une idée, sinon un geste non prémédité, allaient me mener vers un développement de quelque chose. Mais j’étais bien trop hyper consciente de chaque mouvement de la main qui tenait le pinceau pour espérer me laisser guider par un geste qui m’aurait échappé.
Après avoir obtenu les deux lignes qui se croisaient, mon premier réflexe a été de remplir les masses, c’est toujours le premier réflexe qui me vient quand je vois des lignes qui créent une masse fermée.
– Je vais y aller pour le vert, tant pis pour le sapin de Noël, me suis-je dit en couvrant les masses fermées, mais en les couvrant en alternance avec du jaune délavé, un mélange de jaune et de couleur blanc cassé. Il y a cinq masses vertes, de cette manière, et quatre jaune blanc, mais les vertes sont plus visibles car plus grosses. Le remplissage des masses a entraîné des débordements ici et là sur les lignes noire et brune, alors j’ai été soulagée de passer du temps à appliquer une énième couche de ces deux couleurs car ça me donnait du temps avant d’entamer le geste qui allait me mener vers une éventuelle direction. Bien entendu, en rappliquant le noir et le brun, je me demandais quel allait bien être ce geste qui donnerait une direction à ma composition. Ce geste, absolument pas spontané, fut d’ajouter une ligne brune parallèle à certaines portions de ligne brune déjà existantes, et de remplir l’espace entre les deux lignes brunes de mon mélange jaune délavé blanc cassé. Malheur ! J’ai obtenu des sombrero !
– Je ne vais quand même pas obtenir des chapeaux mexicains !, ai-je dit en déplorant déjà le résultat qui prenait forme.
On comprend donc pourquoi j’ai envisagé l’idée, en fin de soirée hier, de me tourner vers un mobile suspendu dans notre grande entrée, qui me confronterait à d’autres sortes de difficultés.
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Écrire un texte par jour, du lundi au vendredi, pendant dix ans. Cela représente grosso modo 220 jours par année, ou 2 200 textes en dix ans. La numérotation décroissante exprime le compte à rebours. Le dernier texte, Jour 1, est prévu fin avril 2021.