
Au menu, un pâté au thon qui goûtait l’estragon. Chaque repas mangé au CHUM m’a fait penser à papa, qui reçoit les siens sur un plateau identique, à cette différence près que son assiette est invariablement couverte de trois boulettes : blanche pour les patates, verte pour les légumes, brunâtre pour la viande. Il mange tout et dit que c’est excellent.
– Si le chirurgien revient de New York seulement dimanche soir, et sachant qu’il opère lundi dès la première heure, et ce toute la journée, il y a de fortes chances que je ne le voie pas avant ma sortie, me suis-je dit, plutôt dépitée. C’est plate, je ne connaîtrai pas son point de vue.
Nous étions samedi, lors de la valse des cardiologues se présentant un à un pour s’opposer à mon opération.
Dans la journée de dimanche, seul le romantique est venu vérifier que j’étais toujours d’accord de me prêter à des tests avant que ne soit prise une décision finale.
– Nous allons faire une ETT lundi matin, et peut-être une ETO, a-t-il mentionné.
Puis, l’Unité de soins intensifs cardiaques, qu’on appelle l’USIC, a été monopolisée par les accidents vasculaires qui se sont produits lors du marathon, en fait par le seul accident qui s’est produit, mais qui fut fatal. L’homme n’avait que vingt-quatre ans.
En fin d’après-midi de ce dimanche, toujours installée dans mon lit adapté devenu fauteuil, j’ai eu l’idée d’aller vérifier à quoi servait l’interrupteur que je voyais en face de moi, pensant qu’il me permettrait peut-être de mieux m’éclairer pour jouer sur mon téléphone sans m’arracher les yeux. Je me suis donc levée en traînant mon soluté d’Héparine, c’est le médicament qu’on donne en remplacement du Coumadin.
J’ai appuyé sur l’interrupteur et découvert qu’il se dégageait dès lors du plafond une lumière parfaite pour ma lecture. Me tournant pour revenir vers mon lit, je suis tombée face à face sur le chirurgien, celui qui m’avait expliqué, en début d’été, que je devais être réopérée. De deux choses l’une : soit j’étais terriblement absorbée par ma découverte de l’interrupteur, soit ses baskets lui permettent de marcher comme sur un nuage sans faire le moindre son.
– Tu lui as fait connaître ta façon de penser ?, s’est enquis la copine à laquelle je racontais mon aventure. Cet homme t’a fait vivre un été d’angoisse alors qu’il lui aurait suffi de documenter un peu plus ton cas pour ne jamais avoir à te parler de chirurgie ! Il s’y est pris d’une manière broche à foin terriblement bâclée !
– Ce n’est pas tout à fait ça qui s’est produit, ai-je répondu en regardant ma copine de cette façon soutenue qui est la mienne quand je m’apprête à nommer l’innommable.
Parce qu’elle me connaît bien, ma copine s’est radoucie :
– Qu’est-ce que tu es allée faire, ou dire ?
– Je ne m’attendais pas à le trouver là, devant moi, alors de surprise je me suis dirigée vers lui et je lui ai fait la bise.
– Non !
– Oui. Il s’est mis aussitôt à me dire que ma valve était bel et bien couverte de pannus et qu’il était préférable de la changer, mais peut-être pas là, tout de suite, dans le courant de la semaine. Sauf que je ne l’écoutais pas vraiment. Je m’en voulais déjà d’avoir été trop spontanée, alors j’attendais qu’il termine ses explications pour lui demander de m’excuser de l’avoir embrassé.
– Et ?
– Et dès que j’ai pu, je lui ai demandé de m’excuser d’avoir été trop familière. Comme pour se protéger d’autres phrases encore qui allaient le déstabiliser, il s’est mis à reculer vers la porte, tout en me disant qu’il avait d’autres patients qui étaient, eux aussi, démonstratifs, et qu’il n’y avait pas matière à s’excuser. Mais la rapidité avec laquelle il a prononcé ces mots me donne à penser qu’il était quand même un peu troublé.
Bonne chance LYNDA et repose toi bien
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